Par Jean-Claude Merlane, intégrateur de compétences
Face à de nombreux phénomènes aussi bien géopolitiques, sociaux, judiciaires, que de la vie quotidienne, une forte majorité de journalistes (presse écrite, TV, radio), d’intervenants sur les réseaux sociaux, jusqu’au quidam de base, portent des jugements de valeur. Souvent à l’emporte-pièce, ces interventions sont chargées d’a priori, sont bâties sur des stéréotypes, sans aucun souci de compréhension du phénomène en question ou, simplement, sans chercher des connaissances sérieuses sur le sujet. Ils contribuent à alimenter une ambiance générale négative, un climat relationnel lourd, pesant, en un mot délétère, qui peuvent hypothéquer nos projets de vie, nos propres souhaits d’épanouissement !
Pour analyser ces jugements, on peut parler d’attitudes plus ou moins spontanées. Pour mémoire « une attitude est une prédisposition psychologique, un état d’esprit, ensemble de jugements et de tendances qui pousse à un comportement » ou à l’action (dictionnaire de la langue française Alain REY). Les attitudes se traduisent beaucoup au travers des opinions de chacun.
Pour appréhender ce phénomène, on peut se référer à l’échelle de mesure des attitudes spontanées d’Elias Porter*.
Plus de 30 ans de pratique nous ont permis l’étude d’un échantillon significatif de plusieurs milliers de répondants au questionnaire de bilan des attitudes spontanées, administrés dans le cadre d’entretiens, d’échanges en face à face ou de formations
Il en ressort une constante dans le poids des pourcentages de chaque type d’attitude :
Suivant la typologie de Porter issue de ce questionnaire, on enregistre six attitudes distinctes.
La première attitude « évaluation« ou « jugement de valeur », arrive toujours en tête avec un taux d’utilisation de l’ordre de 80% ! Cela signifie que la première réaction spontanée est majoritairement un jugement de valeur : « c’est bien ou pas bien, tu as raison ou tort… »
Suit une attitude aussi fréquente (65%), nommée « interprétation« , qui consiste à expliquer à l’autre pourquoi il pense ou agit de telle façon : « si tu dis cela c’est que tu es en colère… »
Ces deux attitudes dominantes sont des attitudes d’influence complétées par l’attitude d’enquête via des séries de questions (je veux en savoir plus) et celle de décision (à la place de l’autre) : « tu dois ou devrais penser ceci ou faire cela ».
La quatrième attitude de soutien consiste à dédramatiser une situation du point de vue de l’interviewer : « ce n’est pas grave, ça va s’arranger ». Elle influence également ce que la personne devrait ressentir.
Ces attitudes d’influence ont tendance à culpabiliser l’interlocuteur concerné et à générer des réactions d’agressivité ou de fermeture, de blocage.
La dernière attitude, celle de compréhension au sens de Carl Rogers, c’est-à-dire « se mettre à la place de l’autre, sans s’identifier à lui, pour comprendre son problème de son point de vue », est particulièrement rare et peu naturelle ! Son fondement est basé sur le concept d’empathie qui est malheureusement devenu un mot banalisé, détourné de son sens premier.
On peut donc déplorer cette prédominance du jugement hâtif sur la capacité à comprendre l’autre. C’est également applicable à l’analyse des flux d’informations que l’on reçoit à feu continu.
Ces attitudes souvent négatives ont elle un lien avec l’esprit critique déjà évoqué, dans l’Antiquité, par Socrate ?
Les définitions de l’esprit critique (traduction littérale de l’anglais Critical thinking) sont nombreuses et parfois contradictoires. On peut en retenir une qui met l’accent sur l’utilisation de la raison, du raisonnement organisé, méthodique, avec pour finalité d’affiner et de préciser des affirmations sans chercher, par principe, à les discréditer. C’est une démarche de remise en question des opinions, des valeurs et de leurs arguments, du vocabulaire utilisé, de la représentation du réel qui interroge la qualité des informations recueillies et des faits constatés.
L’esprit critique passe par la décortication des données, une vision un peu plus systémique et une phase de compréhension, avant de pouvoir porter un avis, voire un jugement. Il suppose, au-delà de la maitrise du raisonnement que « la personne manifeste un certain nombre d’attitudes, de dispositions, d’habitudes de pensée et de traits de caractère », selon Jacques Boisvert (Revue des sciences de l’éducation).
Parmi ces dispositions on retrouve les valeurs de la psychologie dite humaniste de Rodgers et bien sûr l’attitude de compréhension. Elles se manifestent, entre autres, par les techniques de la reformulation (si je comprends bien vous dites que… ?). Il fut un temps où les formations commerciales abusaient de ces apprentissages, « pour faire parler le client ».
Mais se former à l’écoute active pour renforcer son esprit critique et éviter les jugements à l’emporte-pièce peut être un bon moyen de progrès dans la communication constructive avec autrui.
Tout le monde n’est pas beau et gentil. Michel Crozier célèbre sociologue, auteur de l’Acteur et le système (1978) qui a marqué toute une génération de psychosociologues, nous démontre l’importance des notions et des jeux de pouvoir dans les relations intra et inter organisationnelles. Restons donc réalistes.
Cependant, l’analyse avec recul, la prise de distance peut aider à mieux vivre un contexte, qu’il soit général, mondial ou simplement familial, voire à l’intérieur de soi. Cela peut aider à se rapprocher de plus de positivité dans les relations, pourquoi pas de bienveillance, de plus de sérénité et peut être de tendre vers plus de sagesse.
Et si on essayait ?
______
*Elias PORTER psychologue américain (1914 1987), de l’université de Chicago, confrère de Carl Rogers, Abraham Maslow en matière de thérapie centrée sur la personne et des approches non directives, influencé par Kurt Lewin, père, entre autres, de la dynamique des groupes