Culture d’entreprise : un levier caché de la performance et un angle mort des transformations

Culture d'entreprise, Non classé

Par Éric Bardier, conseil en management et coach professionnel

Pour introduire le thème de l’influence qu’a la culture d’une organisation sur sa performance globale, je vous propose quelques témoignages :

– « La croissance est très forte, nous allons doubler les effectifs d’ici deux ans. L’enjeu est de maintenir et développer notre niveau de performance, conserver ce qui fait notre réussite. La relation client, la manière de manager en proximité… Comment faire ?’ (Un dirigeant de PMI)

– « La cession de mon entreprise n’a pas donné les résultats escomptés. Il y a eu de nombreux départs. Le facteur culturel n’a pas été suffisamment pris en compte…L’état d’esprit, les valeurs, la manière de faire… » (Un dirigeant de PME)

– « Nous avons du mal à attirer de nouveaux collaborateurs et quand ils sont enfin recrutés…à les conserver…. J’ai des doutes sur notre manière d’accueillir et d’intégrer…Quand elles s’en vont, les personnes restent évasives sur le sujet…Je ne comprends pas… » (Un directeur de business unit)

– « Nous sommes dans une situation franchement très difficile…Je ne comprends pas la réaction des équipes qui ne prennent aucune initiative et restent passives face à la crise… » (Un directeur de business unit) 

– « Le télétravail sur lequel nous ne reviendrons pas a éloigné les collaborateurs de l’entreprise, le lien se distend avec des conséquences sur la fidélisation, la cohésion…Comment retisser du lien ? … » (Un manager de proximité)

 Ces verbatims sont authentiques et dans un environnement en mutation permanente, les entreprises connaissent des transformations de plus en plus rapides et profondes. Anticipation, réactivité, adaptabilité, créativité, sont des gages de réussite. Or, dans ces transformations volontaires ou subies, une variable demeure encore largement sous-estimée : la culture d’entreprise. Le sujet n’est pas nouveau et les démonstrations nombreuses depuis les années 80 quant à son influence sur la performance globale de nos organisations (1).

Loin d’être un facteur d’ambiance, un « machin de sociologue » ou un « truc de consultant », cela mérite d’essayer modestement de comprendre de quoi il s’agit, de partager quelques repères et de nous inviter (dirigeants, managers, conseils) à (re) considérer ce facteur pour réussir les projets de transformation sur la durée.

Culture d’entreprise : de quoi parle-t-on au juste ?

Les définitions de la culture d’entreprise sont nombreuses mais partent pour la plupart du principe que l’entreprise est une entité sociale capable de générer des règles, des coutumes, des préférences et des croyances qui lui sont propres. Dans la mesure où elles sont partagées par ses membres, dirigeants et employés, elles sont le ciment de l’organisation et la condition de son bon fonctionnement (2).

Selon les auteurs, cette culture d’entreprise se compose de plusieurs éléments (au-delà des facteurs liés à celle du pays dans laquelle elle évolue et de son environnement) :

  • L’histoire (les récits dominants, la genèse, les étapes clés, les personnages, les mythes…)
  • Les valeurs déclarées (ce que l’entreprise prétend être)
  • Les rites, les symboles, les codes (les célébrations, les réunions, les jargons, les codes vestimentaires…)
  • Les comportements visibles (les attitudes admises et partagées, les interactions entre les personnes, les équipes, les modes de fonctionnement, le style de management…)
  • Les croyances profondes (ce que les gens pensent réellement sans parfois l’exprimer, les règles implicites sur ce qui est possible ou pas de faire, ce qui est réellement valorisé…)

À première vue presque invisible, la culture d’entreprise agit donc comme un système nerveux diffus qui conditionne, d’une certaine façon, notre manière de concevoir les choses, d’agir, d’interagir et influence la performance globale en facilitant ou freinant les transformations envisagées.  

Pour illustrer, voici trois exemples concrets et vécus :

– Dans le cadre de la réorganisation de la fonction commerciale d’un grand groupe agro-industriel, les commerciaux passent d’un mode de spécialiste à celui de généraliste. Ce mouvement est vécu comme un appauvrissement de leur rôle notamment auprès des clients et provoque un rejet de la nouvelle organisation. Celle-ci mettra beaucoup plus de temps que prévu à atteindre le niveau de performance visé.

 – Une startup connaît une forte croissance nécessitant le passage à une nouvelle échelle. Les équipes s’opposeront à plus de rigueur organisationnelle, celle-ci étant vécue comme une trahison. L’organisation restera, pour un temps, inadaptée aux enjeux.

– Une PMI du secteur aéronautique très hiérarchisée rejette les initiatives d’amélioration continue conduites en mode participatif. Ici la culture sanctionnera la prise d’initiative et ralentira le plan d’amélioration.

Cela veut-il dire que les transformations envisagées sont incohérentes, inadaptées ? Certainement pas dans la majorité des cas. Cela signifie simplement que les aspects culturels n’ont pas été suffisamment pris en considération en amont et leurs évolutions préparées et accompagnées.

Culture et performance : un lien sous-estimé ?

La culture exerce donc une influence directe sur différents types de performance : économique (alignement stratégique, clarté et partage des valeurs, mobilisation…), organisationnelle (réactivité, adaptation, innovation, coopération…), opérationnelle(qualité, efficacité des processus, prise de décisions…) et sociale (attractivité, intégration, rétention, engagement, climat social…).

Pour aller un cran plus loin, je vous propose une grille de lecture synthétique et non exhaustive qui illustre le lien entre différentes composantes culturelles et leurs effets sur la performance. Elle pourra aider à identifier la situation actuelle au regard de celle souhaitée et mettre en évidence les leviers à mobiliser et les pièges à éviter dans un projet de transformation.

 

Composante de la culture Définition Effet positif attendu sur la performance Risque si la composante est dysfonctionnelle
Valeurs Principe fondamental, croyance collective qui guide les comportements, les décisions et les relations au sein de l’organisation Sens, cohésion, prise de décision, attractivité, rétention, engagement… Cynisme, conflits de valeurs, incohérence managériale…
Rituels & symboles Pratiques, événements, discours, images, objets… Sentiment d’appartenance, renforcement du collectif, cohésion, alignement… Superficialité, perte de crédibilité, perte de temps…
Normes sociales & comportements Ce qui est toléré, valorisé ou sanctionné dans les comportements quotidiens Clarté des attentes, comportements productifs Ambiguïté, comportements contre-productifs…
Style de leadership dominant Façon de manager les équipes, exercice du pouvoir, direction-orientation, inspiration, motivation Mobilisation, fluidité dans l’action, engagement, autonomisation, responsabilisation… Autoritarisme, inhibition, démobilisation…
Rapport au temps Orientation court/long terme, gestion des délais Vision durable, perspectives, investissements moyen/long terme… Précipitation, court-termisme ou attentisme excessif
Rapport à l’erreur et à l’échec Attitude face à l’erreur, l’échec, au risque, à l’expérimentation Innovation, agilité, apprentissage collectif… Blocage, peur, déresponsabilisation, rigidité organisationnelle…
Rapport à la hiérarchie et au pouvoir Degré de centralisation, respect de l’autorité Clarté des rôles et des responsabilités, efficacité décisionnelle Initiative bridée, lenteur, frustration, zèle excessif
Style de communication Formelle/informelle, descendante/horizontale, transparente/opaque Fluidité de l’information, confiance, coopération, engagement… Rétention d’information, défiance, silotage…
Climat relationnel Qualité des relations entre les membres Engagement, qualité de vie au travail, performance collective… Turnover, conflits, absentéisme…

Nous venons de le voir, l’influence de la culture sur la performance est réelle.

Mais pour aborder le sujet, par où commencer ?

La culture n’est pas un mystère.
À condition de vouloir la comprendre et de s’en donner les moyens.

La plupart des méthodes de diagnostics stratégiques, organisationnels, RH, de performance opérationnelle, etc. comportent un volet d’analyse culturelle (3). Celui-ci repose généralement sur des entretiens individuels et collectifs, des observations terrain et des grilles d’analyse. Il est cependant plus ou moins mis en œuvre lors des interventions par manque de conviction, de temps, de moyens.

L’idée est donc d’accepter que le management et les équipes puissent prendre le recul et le temps nécessaires pour identifier les ressorts culturels de l’organisation qui seront un levier ou un frein dans la structuration et la conduite d’un projet de transformation. Prendre le temps d’une opération de déminage en quelque sorte…

Ainsi une entreprise du secteur du transport aérien a conduit il y a quelques années de profonds projets de transformation impactant son organisation, ses métiers, ses processus et outils, ses modes de fonctionnement et sa culture. Il s’agissait d’atteindre rapidement les niveaux de performance globale attendus à ce niveau de la compétition, tout en rendant les changements admissibles pour le corps social. Outre le fait de lancer des études sociologiques à grande échelle, une méthode robuste de conduite du changement est venue équiper l’ensemble des managers concernés et/ou impliqués dans les transformations. Cette méthode comprenait la possibilité de lancer sur des périmètres plus restreints (métiers ciblés, zones géographiques particulières, etc.) une analyse culturelle pour identifier les freins et leviers, anticiper les risques, saisir les opportunités et ainsi ajuster les plans d’accompagnement.

Cette approche est bien entendu reproductible et l’a été à de nombreuses reprises auprès de PME-PMI.
Les typologies d’enjeux des projets de transformation sont comparables. Seules les modalités changent.

Accueillir la complexité et en finir avec le prêt à penser et à agir.

La culture est clairement un levier de performance.
Intégrer cette dimension à un diagnostic de situation problématique ou au cadrage d’un projet de changement réduira les angles morts, renforcera la cohérence des actions et augmentera les chances de transformation réussies… sur la durée.

Ce travail sera passionnant ! Et pour porter ses fruits, il exigera une intention claire, une posture d’écoute, de non-jugement et un cadre précis afin d’éviter les raccourcis trompeurs en matière d’interprétation.

 Dans un monde saturé de communication où les problèmes et leurs solutions sont des puzzles de 12 pièces en couleur, où les projets de transformations sont « d’incroyables succès », conduits et accompagnés avec style et panache, considérer l’aspect culturel d’une organisation appelle à un peu d’humilité. La matière est complexe, vivante et en constante évolution. Ce qui implique d’éviter les recettes toutes faites, d’observer, d’écouter avant de proposer, de comprendre avant d’agir mais aussi d’agir pour comprendre.     

Et n’oublions pas : « La culture mange la stratégie au petit-déjeuner !» (4)

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Notes :

(1) Voir notamment : E. Schein « Organizational culture and Leadership », J. Kotter & J.Heskett « Corporate culture and performance »,D.Denison « Corporate culture & organizational effectiveness”, P. d’Iribarne « La logique de l’honneur », M. Crozier « L’acteur et le système », R. Sainsaulieu « L’identité au travail », F. Dupuis « La fatigue des élites », …

(2) Sciences Humaines Hors-série n°20 mars/avril 1998

(3) Voir par exemple le modèle de diagnostic organisationnel 7s de McKinsey qui propose d’analyser (entre autres facteurs) le système de valeurs et la culture de l’organisation

(4) Phrase attribuée à Peter Drucker. Les comportements, les valeurs et les normes implicites (la culture) l’emportent souvent sur les plans formels (la stratégie).