Les RH post ‘business partner’ : vers une fonction humaine ‘durable’ ?

Ressources Humaines / Compétences

Article rédigé par Bernard Coulaty, expert DRH, en engagement et transformation

2 conditions : résister à la tentation des organisations dites ‘nouvelles’, et renoncer au ‘peoplewashing’

 
HR is not about HR“ – Dave Ulrich
Prévoir en stratège et agir en primitif “ – René Char

Dans mon dernier ouvrage ‘Engager pour transformer’ (EMS 2024), j’invite les lecteurs à dépasser les paradoxes actuels en proposant des clés pour repenser une fonction humaine mieux partagée entre managers et DRH, transformante pour les organisations et les personnes, et créatrice d’engagement pour tous. Après une revue en profondeur des éléments stratégiques des transformations individuelles, managériales et organisationnelles mais aussi ceux de la fonction RH elle-même, je propose un référentiel commun pour une fonction humaine plus transformante que transactionnelle et mieux partagée entre des experts RH influents et des leaders créateurs d’engagement.

En introduction, quelles sont les conditions de cette nouvelle fonction humaine que j’appelle de mes vœux ? En voici deux : d’abord résister à la tentation des organisations dites ‘nouvelles’ en privilégiant le retour aux fondamentaux du management, ensuite renoncer aux pratiques du peoplewashing, notion que je définis dans le livre et qui met l’accent sur des expériences collaborateurs éphémères ou infantilisantes.

 

Résister à la tentation des organisations dites ‘nouvelles’ et revenir aux fondamentaux

Justement, parlons de toutes ces nouvelles organisations ou croyances développées ces dernières années. J’en ai identifié 7, une sorte de liste des 7 ‘péchés capitaux’ de l’organisation. Bien sûr dans l’idéal, l’entreprise se veut totalement heureuse, libérée, agile, sociétale, virtuelle, diverse et alignée – Alléluia ! Mais cela n’arrive jamais, et heureusement d’ailleurs car une vertu poussée à l’extrême peut devenir toxique !

Alors que faire pour résister à la tentation de ces 7 péchés capitaux ?

  • Non, une organisation n’est pas 100% heureuse – plutôt que le bonheur ‘au’ travail, c’est le bonheur ‘du’ travail qu’il convient de valoriser. Les tendances à l’’happycratie’ (et ses fameux chief happiness officers) certainement issues du concept de startup nation, sont en repli. On ne travaille pas sur le bonheur des collaborateurs, mais on peut créer des moments et des espaces favorisant le bonheur DU travail : le travail de qualité, le sources d’apprentissage qu’il entraine, le plaisir de créer ou de modeler un produit ou un service, la richesse des relations et des connections émotionnelles autour du travail.
  • Non, une organisation n’est pas 100% libérée – les expériences d’entreprises ‘libérées’, issues d’une pulsion autogestionnaire, sont intéressantes mais à la supposée tyrannie des petits chefs s’est parfois substituée une ‘tyrannie des processus’, créant certes de la coopération et un fonctionnement plus horizontal, mais aussi de la complexité. Introduisons une partie de ‘libération’, par exemple par la mise en place d’équipes semi-autonomes (ce qui était la pratique chez BSN devenu Danone en… 1993 !), mais conservons une verticalité utile dans le fonctionnement et la prise de décision opérationnelle.
  • Non, une organisation n’est pas 100% agile – certes dans un monde VUCA/BANI le changement de pied est permanent, mais certains fondamentaux de l’identité, des valeurs et de la culture ne sont pas modifiables ni agiles, ils sont à conserver, à adapter peut-être mais pas à sacrifier au nom d’une agilité frénétique. L’agilité organisationnelle est clé à condition qu’elle soit fondée sur des valeurs claires et partagées.
  • Non, une organisation n’est pas 100% sociétale – la ‘raison d’être’, c’est bien, mais quelle est la ‘raison d’en être’ pour chaque collaborateur, du cadre supérieur à l’ouvrier dans son usine ? Être une ‘entreprise à mission’ apporte de nombreuses satisfactions sur le rôle sociétal de l’entreprise, mais si on oublie le rôle social, la manière d’engager chacun autour de cette vision, on passe à côté du sujet. Sans parler du débat entre croissance et décroissance !
  • Non, une organisation n’est pas 100% virtuelle – la place prise par le management hybride et le travail à distance, grâce aux nouvelles technologies dans des organisations désormais dématérialisées, dispersées, outsourcées, ne doit pas occulter l’importance de l’incarnation des relations humaines et de l’engagement fédérateur, qui restera un mix hybride entre productivité du travail et création de lien fédérateur.  D’ailleurs ‘l’entreprise sans usine’ est passée de mode puisqu’on parle de réindustrialisation et de relocalisation, et là où il y a des usines, il y aura des ouvriers !
  • Non, une organisation n’est pas 100% diverse – le curseur devrait se déplacer de la diversité vers l’inclusion, souvent le parent pauvre. On tombe trop souvent dans de l’affichage de diversités voire la diffusion d’une idéologie ‘woke’ qui serait un terrain glissant car éloigné de la dimension véritablement inclusive. La vraie diversité est celle qui vit au sein de chaque équipe de travail, avec des managers qui la pilotent finement et en font un enjeu de fédération collective.
  • Non, une organisation n’est pas 100% alignée – le fonctionnement top-down sur la base de stratégies définies par le COMEX et déclinées dans les étages inférieurs est dépassé. On ne peut pas non plus faire semblant de consulter ‘la base’ pour mettre en œuvre les éléments de stratégie définis au 18ème étage avec une armée de consultants. Sans travailler sur le fond de l’engagement, sur l’appropriation par chacun de la vision proposée, sur le rôle clé du management, on a souvent un sentiment d’échec.

Renoncer au ‘peoplewashing’ et aux expériences éphémères ou infantilisantes

 Le greenwashing (‘éco-blanchiment’ en français) est une méthode de marketing consistant à communiquer auprès du public en utilisant l’argument écologique de manière trompeuse pour ‘embellir’ l’image de l’entreprise. Cela aboutit à une présentation déformée des faits et de la réalité.

Sur le modèle du greenwashing, je propose le peoplewashing qui serait une méthode de marketing consistant à communiquer auprès du public et en particulier des potentiels candidats sur le marché du travail, en utilisant l’argument humain ou social de manière trompeuse pour ‘embellir’ sa marque employeur et donc l’image de l’entreprise. Dans un parallèle avec l’approche de greenwashing, le peoplewashing pourrait ressembler à ceci :

  • Le détournement d’attention : quelques success stories de collaborateurs isolées, une sur-communication sur les éléments de l’expérience collaborateur en surface (ateliers collaboratifs, regroupements festifs, jeunes mis en avant, fruits bio à la cantine, sans oublier les légendaires babyfoot….) ;
  • Le manque de transparence : des mots génériques et un peu ‘fumeux’ sur les valeurs, dissimulant une culture toxique, le pack QVT/bien-être (espaces de co-working, flexibilité apparente, télétravail généralisé) est ‘l’arbre qui cache la forêt’ !
  • Le faux label : on a vu la généralisation de ces labels de type ‘employeur of choice’  , une reconnaissance évidemment, au même titre qu’une certification qualité, mais quelle réalité sur le terrain ? Les éléments d’ambiance (conditions de travail, flexibilté des horaires, qualité des services au collaborateur) sont généralement mis en avant donc posons-nous la question de l’idéologie sous-jacente de ces labels.
  • Le mensonge frontal ou l’omission : promesse de bien être au travail compensant un management peu engageant, des sujets de fond non traités. Ici on touche au fond de la réalité managériale, culturelle et organisationnelle de l’entreprise., difficile à percevoir et difficile même à diffuser, y compris quand elle est positive. Seul le ‘bouche à oreille’ et des influenceurs subtils peuvent rendre compte d’une culture réellement positive, et cela repose sur une acceptation du ‘temps long’.
  • Le packaging trompeur : marque employeur ronflante, chief happiness officers, baby foot, bonheur au travail. Tout est dit dans ce pack finalement tombé en désuétude, tout le monde voit clair dans ce qui est ‘vrai’ et ce qui relève de la construction marketing.

Le référentiel commun des missions, compétences et postures partagées des managers et des DRH que je propose dans mon ouvrage ‘Engager pour Transformer’ part de ces deux conditions pour reconstruire une fonction humaine capable de naviguer dans les paradoxes actuels : individuels (l’aspiration à être soi au travail ET en même temps de s’en protéger) , managériaux (trouver la ligne de crête entre bienveillance ET exigence) et organisationnels (produire de la diversité ET aligner un collectif sur une vision).

Le paradoxe de la fonction RH elle-même serait plutôt de dépasser la posture de ‘business partner’ pour être le ‘gardien du temple’ du développement humain :

  • La posture de business partner est aujourd’hui largement répandue parmi les professionnels RH, elle reste fondamentale pour comprendre le business, répondre aux besoins opérationnels, délivrer les services attendus par la ligne managériale ;
  • Être un ‘gardien du temple’, c’est dépasser la posture de business partner en évitant d’agir en simple ‘serviteur’ (facile à outsourcer), en gardant le recul nécessaire pour défendre la culture et les valeurs de l’entreprise, en agissant en contre-pouvoir du business quand nécessaire. Encore faut-il que cette vision soit partagée par la ligne managériale au plus haut niveau, et là il y a encore du chemin à parcourir.

Bernard COULATY
‘Engager pour Transformer : managers et DRH, coproducteurs d’une nouvelle fonction humaine’ (EMS 2024)