Article rédigé par Christelle Chazelle, membre de la DFCG et du groupe DAF à temps partagé de la DFCG
Après 30 années passées auprès d’entreprises innovantes, je viens de participer à la fin inéluctable d’un projet disruptif : retour d’expérience sur une phase difficile à vivre qui demande courage et résilience. Les statistiques attestent bien que l’innovation n’assure pas toujours un succès immédiat
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Plusieurs voyants étaient au vert il y a environ 4 ans : un projet de start-up innovante, un sujet soutenu par un investisseur, le soutien de BPI France, des partenaires bancaires et de deux régions. Une équipe restreinte et experte, bien introduite et soutenue dans son domaine d’expertise, des brevets et plusieurs prix innovation
« Nous avançons progressivement mais nous voilà confrontés aux difficultés de la 2ème levée de fonds. Sans cette 2ème levée de fonds, impossible d’envisager une suite. Nous aurons tout tenté mais rien à faire, nous nous sommes retrouvés dans la situation de nombreux dirigeants (les statistiques parlent d’elles-mêmes) à devoir rencontrer le Président du Tribunal de commerce ! »
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Qu’est ce qui a bloqué ?
Difficile de concrétiser les 1ères ventes ? Trop tôt sur un marché nouveau ? Pas assez de traction commerciale ? Marché trop étroit ? …. Beaucoup de : « Trop…/ Pas assez… » qui laissent en fait très vite dans une impasse.
Le principal point de rupture est finalement le manque de trésorerie. Il devient rédhibitoire si l’investisseur décide de ne plus soutenir le projet. La gestion de la trésorerie devient essentielle et presque trop centrale, orientant l’équipe inévitablement vers l’échéance ultime. Car dès lors que vous rentrez dans la logique des difficultés à payer, c’est la fin et la fin se transforme très vite en liquidation si le refinancement n’est pas envisageable.
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Que retenir de cette situation ?
1/ toujours maitriser son plan de trésorerie et les indicateurs d’alerte
2/ Se concentrer sur le commerce et la création de valeur qui n’existe que si le client paie !
3/ Savoir modifier à temps la stratégie qui motive les actionnaires et/ou investisseurs
4/ Trouver le bon moment et le courage pour arrêter si la stratégie projet n’est plus possible
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Que retenir des différentes procédures possibles pour le dirigeant en difficulté ?
1/ la procédure d’alerte auprès du tribunal de commerce permet de protéger le dirigeant mais malheureusement, elle n’aide pas le dirigeant. Seul le dirigeant a les solutions. A noter cependant que cette procédure, confidentielle, n’échappera pas au commissaire aux comptes qui fera son devoir et insistera pour que ce soit écrit dans l’annexe des comptes.
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2/ la possibilité de déclencher une procédure à l’amiable quand on anticipe des difficultés de trésorerie. Deux formes confidentielles sont possibles :
• Le mandat Ad Hoc : utile en cas de visibilité supérieure à 1 an. Avec l’aide d’un administrateur judiciaire, il est plus facile de bloquer les dettes bancaires afin de donner un peu d’air au projet.
• La conciliation : presque identique mais elle ne peut pas durer plus de 5 mois. Ce cas est donc réservé aux situations dans lesquelles une solution est possible sous 5 mois (vente, adossement industriel ou refinancement).
Attention, dans le cas des start-up innovantes, ces procédures dites confidentielles peuvent bloquer toute possibilité de nouveau financement. Seul un investisseur en capital pourra apporter de nouvelles solutions.
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3/ la déclaration de la cessation des paiements : le dirigeant a le devoir de se déclarer dans les 45 jours. Chose étrange, le mode de calcul qui permet de définir la date de cessation prend en compte les dettes et les créances non recouvrées. Dans le cas d’un projet innovant, la situation nette de trésorerie intègre le CIR même s’il est payé tardivement. Il est donc possible d’être en incapacité de payer mais de ne pas être déclaré en cessation des paiements.
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4/ en cas de cessation des paiements, 2 solutions : déclarer une procédure collective de redressement auprès du tribunal de commerce ou directement une procédure de liquidation. La procédure est numérisée, assez rapide et l’audience est très vite fixée de façon à protéger les salariés. Les salariés sont en effet protégés grâce à l’AGS (Assurance de Garantie des Salaires) qui intervient en cas de redressement : elle prend en charge les dettes des salariés non payées et dues à la date du jugement. Elle intervient également en liquidation pour la prise en charge des coûts de licenciement du personnel.
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5/ connaître la différence entre un administrateur judiciaire et un mandataire judiciaire. L’administrateur a pour vocation d’aider la direction alors que le mandataire a pour vocation de protéger les créanciers. Le mandataire est nommé d’office par le tribunal alors que l’administrateur ne l’est pas automatiquement. Toutes ces interventions ont un coût non négligeable qui n’est jamais clairement expliqué.
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Quels retours d’expérience ?
1/ La 1ère préoccupation d’un dirigeant reste la commercialisation.
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2/ Lorsque l’on arrive en bout de course, préférer une procédure amiable auprès du tribunal plutôt qu’une négociation amiable en direct avec les partenaires bancaires. Les dettes seront systématiquement gelées sans discussion. La négociation amiable n’a finalement pas beaucoup d’intérêt car les partenaires bancaires maîtrisent mieux que vous le process et peuvent imposer des conditions presque « abusives ». Il est donc peut-être préférable de payer les services d’un administrateur qui est là pour vous soutenir, qu’un banquier qui n’est plus un partenaire. D’ailleurs, vous n’échangez plus avec votre partenaire bancaire. Autant être sous la protection du tribunal car si vous obtenez une négociation amiable, les banques n’auront plus la possibilité de vous financer.
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3/ La France a un système social qui protège très bien les salariés. En revanche, le dirigeant ne l’est pas du tout et il est très seul pour se reconstruire et faire le deuil de son projet.
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4/ Au pied du mur, le dirigeant porte sur ses épaules de nombreuses responsabilités sans véritable accompagnement. Il perd très vite la main sur son projet et n’a pas la possibilité de gérer les salariés à sa manière jusqu’au bout. L’ensemble du processus reste très impersonnel, relativement opaque et hors de toute considération empathique. On arrive à la situation : plus personne pour conseiller la Direction et plus d’argent pour se faire conseiller ! Heureusement, quelques partenaires historiques jouent le jeu et c’est vraiment appréciable.