Article rédigé par Florence Durand, médiatrice régionale pour les entreprises, déléguée Occitanie. Ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté Industrielle et Numérique.
Ce que les Rolling Stones et Keith Richards ont à nous apprendre…
Pour diriger, prévoir, organiser, contrôler et décider ne suffisent plus.
L’entreprise est, par définition, un terrain propice aux tensions :
- Parce que c’est le lieu où se rencontrent deux plaques tectoniques : la confrontation des ambitions des entreprises (développement, profitabilité, efficacité, transformation) et des aspirations des salariés (qualité de vie, équilibre de vie, reconnaissance, sécurité, rémunérations) en fait un lieu de paradoxes où les DRH sont en perpétuelle recherche d’équilibre.
- Parce qu’une entreprise est un collectif de salariés qui rassemble des intérêts, des points de vue, des opinions, des ambitions et des motivations individuelles différentes qu’il faut parvenir à rassembler autour d’un projet commun.
L’un des plus grands défis actuels du management post-covid est de « faire travailler ensemble », et ce, à tous les niveaux de l’organisation dans un contexte d’aspirations plus fortes à l’individualisation du travail et à l’autonomie. Il est de composer, concilier et parfois même réconcilier les points de divergences.
Face à une société en quête de plus de liberté et de réalisation de soi, cette diversité rend l’exercice de direction plus complexe et plus instable. Trouver un équilibre satisfaisant entre d’un côté, les besoins et aspirations des salariés et de l’autre les contraintes et les possibilités du milieu du travail est une préoccupation constante du management. Au-delà de l’apaisement, cet équilibre recèle un potentiel de créativité, de résilience et de développement. Il représente un atout indispensable pour s’adapter aux changements rapides de notre environnement.
La diversité des points de vue offre l’opportunité de pouvoir composer et de faire jouer une partition avec un rythme, un tempo, une mélodie et des nuances qui, à coup sûr, seront remarquées de l’écosystème dans lequel l’organisation évolue. En contrepartie, elle porte en elle les germes de possibles dissonances et accrocs. C’est ce que nous pouvons apprendre de Keith Richards, légendaire guitariste des Rolling Stones, et en cela, penseur inattendu du management. Selon lui, la réussite et la longévité du Groupe qui a traversé les 50 dernières années en sachant s’adapter aux modes, tiennent à sa capacité à savoir rendre les désordres des confrontations en vertus créatives. À ce sujet, Je ne peux que vous inviter à lire l’article de Philippe Silberzahn dans la revue Contrepoints.
Il faut savoir aussi :
Trouver les points de convergence, rapprocher, relier, rassembler des attentes et des points de vue différents, autour d’un projet commun et partagé.
Arturo Toscanini (chef d’orchestre italien du 20ième) disait en substance : « Le chef d’orchestre est un prisme, une sorte de diamant, par lequel passent les faisceaux de toutes les individualités de l’orchestre ». Tout comme le chef d’orchestre est à l’œuvre orchestrale un intermédiaire au service du compositeur, le dirigeant est à l’entreprise, un intermédiaire au service de ses ambitions et de tous ses partenaires.
Il lui faut savoir impulser, créer une dynamique collective et lui donner un sens propre à chacun. « Diriger, ce n’est pas convaincre, c’est savoir persuader de composer ensemble pour construire un projet commun. »
Avec, entre autre, ces leviers d’action :
- Favoriser la confiance et le dialogue ;
- Permettre l’expression du meilleur de chacun pour libérer son potentiel ;
- Rapprocher et relier aspirations personnelles et ambitions collectives ;
- Gérer les inévitables accrocs induits par cette diversité de points de vue. Dans le discours de la méthode, Descartes nous dit que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres mais de ce que nous menons nos pensées par diverses voies et que nous ne considérons tout simplement pas les mêmes objets. Des propos d’actualité qui éclairent le conflit d’un jour nouveau !
En effet, même quand l’entente est la plupart du temps cordiale, les différences d’opinions ou de visions sont susceptibles d’entrer en opposition. En période de crise, de changements dans l’environnement professionnel mais aussi privé, de départs, des désaccords jusqu’alors mineurs peuvent soudain devenir insurmontables parce qu’ils sont venus mettre à mal l’équilibre de l’ensemble.
La plupart du temps, ces déséquilibres dans l’ordre établi s’atténuent rapidement, sans conséquence durable, tandis que d’autres déclenchent une réaction en chaîne explosive et néfaste et d’autres conduisent l’organisation à se repenser pour les dépasser et donnent une impulsion nouvelle.
Et vous, face à un différend, face à la confrontation d’idées, que faites-vous ?
- Vous renvoyez à plus tard, vous évitez d’y penser, cela passera !
- Vous fuyez la situation, il est peut-être temps de faire ou d’organiser une mobilité !
- Vous vous accommodez de la situation ; ce n’est pas si grave !
- Vous argumentez, vous les raisonnez pour qu’ils redeviennent raisonnables,
- Vous vous imposez, après tout, c’est vous le chef !
Une autre voie est aussi possible :
Parce que ce qui fait la différence entre sortir renforcé ou fragilisé de tensions ?
C’est la façon de les gérer :
- En offrant l’opportunité à tous de trouver son équilibre entre besoin personnel et ambitions communes.
Concilier intérêts personnels et ambitions collectives, non ce n’est pas de l’angélisme ni de l’utopie mais
un nouveau paradigme managérial : la démarche de médiation
Ma carrière de dirigeante et de DRH m’a permis de dresser 5 constats qui m’ont conduite à conclure que la médiation a toute sa place en entreprise et qu’elle devrait faire partie intégrante de la boîte à outils dont les dirigeants et leurs managers devraient disposer.
Constat 1 : les entreprises sont, par définition, des terrains propices aux tensions.
Constat 2 : les contextes économique, social et sociétal viennent les bousculer, rompre leurs équilibres, imposer de nouveaux modes de fonctionnement et multiplier les situations de tensions.
Constat 3 : les dirigeants sont, par, définition au cœur de la gestion de ces tensions relationnelles, qu’elle qu’en soit leur nature ou leur périmètre. L’obligation de sécurité de résultat en matière de protection des salariés en font même des acteurs incontournables et responsables. Laisser perdurer un conflit peut se révéler être une faute civile et même pénale.
Constat 4 : malgré l’enjeu de cette responsabilité et l’amplification de ces problématiques relationnelles, les dirigeants/managers restent souvent démunis pour assumer pleinement cette mission.
Constat 5 : la recherche d’équilibre nécessaire au bon fonctionnement des organisations que nous avons évoquée plus haut est finalement très proche de celle préconisée par l’OMS pour développer la qualité de vie au travail : permettre de trouver un équilibre satisfaisant entre d’un côté, les besoins et aspirations des salariés et de l’autre, les contraintes et les possibilités du milieu du travail.
Constat 6 : En me formant à la médiation, j’ai découvert que
les exigences et les compétences pour être un bon médiateur sont similaires à celles attendues par leurs équipes de leur dirigeant-médiateur.
J’y ai trouvé :
- un cadre de référence, une méthode et une posture capable de donner une vision systémique des enjeux collectif et individuels et de gérer la complexité croissante de nos organisations ;
- des compétences immédiatement transférables dans le quotidien du management.
Il existe, en effet, de nombreuses et efficaces techniques à disposition qui ont pour intention de favoriser le « travailler ensemble ». Pourtant, aucune d’entre elles ne se suffit à elle-même. Faut-il encore savoir les articuler.
La démarche de médiation est, en ce sens, « reliante » :
- Elle donne l’opportunité de relier, de créer ou de recréer des liens entre des personnes ou des systèmes.
- À ces liens qu’elle permet d’établir, elle rajoute du sens, une finalité et l’intégration de chacun dans une volonté commune.
Mais ce n’est pas non plus de l’angélisme. Sans renoncer ni à ses intérêts ni à ses besoins, il s’agit d’avoir la capacité de faire vivre dans son organisation un système de coopération pragmatique et durable. Ce qui me semble, par contre, naif, c’est de concevoir un collectif sans conflit, c’est de considérer le conflit comme un échec et de croire en un collectif monolithique.
Quelles similitudes entre les deux démarches ?
Management et Médiation requièrent l’un et l’autre :
- Exigence, ouverture, écoute et empathie
Le rôle de médiateur est exigeant, tout comme l’est celui de manager. Pour être crédible, légitime et respecté, le manager doit être exemplaire et doit faire preuve d’ouverture, d’écoute et d’empathie. Ces mêmes savoir-être sont sollicités par la médiation.
- Reconnaissance des individualités : préoccupations communes
Quand on questionne les collaborateurs sur leurs attentes, le sujet de la reconnaissance est très largement évoqué. Mais celle-ci va bien au-delà de la reconnaissance du travail. En amont, se pose la question de la reconnaissance de l’individualité du salarié comme le précisent Douglas Stone, Bruce Patton, Sheila Heen : « Que signifie reconnaître le sentiment de l’autre ? Il s’agit de lui faire savoir que ses paroles ont fait impression sur vous, que ses émotions comptent à vos yeux et que vous œuvrez à les comprendre ». Ce qui, pour autant, n’implique pas que vous les partagiez.
- Autonomie et responsabilisation
Dans cette démarche, la responsabilité du médiateur ne réside pas dans son implication à apporter des solutions, mais dans sa capacité à impulser une action de résolution de problèmes et à mettre les personnes impliquées en responsabilité.
L’objectif en médiation est de permettre aux parties impliquées de trouver elles-mêmes un équilibre entre leurs besoins, attentes et intérêts respectifs. A cette recherche d’équilibre, facteur d’apaisement, la médiation répond aussi à d’autres aspirations actuelles, celui de l’autonomie et de la responsabilité.
- Garantie d’un cadre sécurisé
Les questions de sécurité du travail sont au cœur des préoccupations de prévention mais aussi de performance. La médiation se propose d’être le garant d’un respect mutuel dans les échanges et la communication. Le principe de confidentialité, intrinsèque à la médiation, est sécurisant et crée un espace d’écoute et d’expression rassurant pour les collaborateurs. En posant comme préalable que « ce qui est dit en médiation reste en médiation », la médiation propose à chacun des collaborateurs de pouvoir exprimer, de comprendre les difficultés sous un autre jour.
- L’art de donner du sens
La médiation fixe un cadre de référence au médiateur, lui confiant la responsabilité de garder la maîtrise des règles et du processus en respectant 4 étapes :- La première consiste à séparer les personnes du problème, c’est-à-dire amener à considérer que ce n’est pas l’autre le problème mais la relation ou l’organisation de la relation.
- La deuxième est d’amener les personnes à se concentrer sur leurs besoins et intérêts et non sur leurs positions ; c’est-à-dire miser sur une recherche des enjeux personnels, plutôt que de rester figer sur son point de vue.
- La troisième est de créer un espace commun favorable où seront imaginées des options en vue de gains mutuels (Fisher, W.& Ury). C’est précisément à cette étape que l’on peut retrouver la capacité créatrice de la médiation et favoriser la recherche de solutions innovantes : les collaborateurs sont invités à exprimer toutes les idées et à élargir le champ des possibles pour régler les difficultés qui les opposent.
- La dernière consiste à les faire s’accorder sur une solution et à la formaliser pour la rendre réalisable. En médiation, plus de 9 accords sur 10 sont effectivement réalisés parce qu’ils ont été coconstruits sur des bases équitables, comprises et réalisables pour chacun.
Quelles similitudes entre les deux postures ?
Management et Médiation, de mêmes principes d’action à l’œuvre
Dirigeants et Médiateurs sont face aux mêmes exigences devant les impératifs du « faire travailler ensemble » :
- Changer de regards sur les tensions : non, ce n’est pas un échec mais une source d’opportunités.
- Être convaincu que les différends sont
- inévitables dans le fonctionnement des organisations humaines,
- utiles et nécessaires comme facteurs de régulation et surtout d’évolution
- Sortir d’une vision utopiste et abstraite de l’optimisme, du droit à l’erreur et de l’empathie pour en faire des outils pragmatiques au service de la performance et de l’engagement.
- Être en capacité de détecter les difficultés, de les apaiser et d’en faire émerger des solutions de coopérations durables,
- En connaissant leurs mécanismes, modes d’expression et carburants émotionnels. Il est illusoire de penser que les émotions restent aux portes de l’entreprise.
- En maîtrisant les fondamentaux des postures de résolution des différends,
- En connaissant les outils à sa disposition pour choisir celui qui sera le plus adapté à la situation,
- En développant son intelligence émotionnelle. Cette intelligence, c’est l’art de savoir créer du lien, de la confiance, de la relation à soi, aux autres et pour les autres. C’est :
- Se connaître face à un conflit, que l’on soit directement impliqué ou non. Être en capacité d’entendre ses intuitions, d’identifier ses émotions et besoins, de connaître ses propres freins et ressources.
- Savoir se maîtriser pour faire en sorte que ses émotions n’entravent pas ses objectifs.
- Développer son empathie en sachant comprendre et accepter les sentiments et points de vue des autres sans forcément renoncer aux siens.
- Pratiquer et apprendre l’optimisme, le vrai ! Non pas viser un verre à moitié plein mais un verre au contenu optimisé compte-tenu des possibles.
Les nouveaux horizons de performance que le management-médiateur peut ouvrir
Rien à perdre mais tout à gagner
Puisque chacun s’accorde à dire que le conflit est inévitable et même intrinsèque à la vie de l’entreprise, les gains observés ne peuvent être que positifs. Il n’y a JAMAIS rien à perdre à tenter une démarche de médiation, mais TOUJOURS tout à gagner.
- Économie de coûts indirects afférents aux tensions relationnelles :
Le coût caché de l’absentéisme serait estimé à plus de 100 milliards d’euros par an, environ 3500 à 4000 euros annuels par salarié ou 7 à 9% de la masse salariale.
Ces chiffres ne cessent par ailleurs de se dégrader : l’absentéisme en entreprise a atteint des records en 2022. 44% des salariés se sont absentés au moins un jour, contre 30% en 2019, selon un baromètre d’Axa, et pas seulement à cause du Covid.
Cette évolution est par ailleurs confirmée par la hausse du désengagement des collaborateurs particulièrement élevée en France comme le montre le rapport GALLUP. Dans le monde, on considère que seuls 21 % des employés sont engagés auprès de leur entreprise. C’est extrêmement bas. Pourtant, la moyenne européenne est encore plus faible, avec 14 %. C’est la région dans laquelle les employés sont le moins engagés dans le monde. En France, ce chiffre tombe même à 6 %.
La plupart des travailleurs interrogés évoquent le fait qu’ils ne trouvent pas de sens à leurs missions. Ils ont également un espoir limité concernant leur futur et l’amélioration de leurs conditions de travail. - Économie de temps consacré à la résolution des litiges
Une étude réalisée par OpinionWay en septembre 2021 a fait ressortir les deux points clés suivants :- 2/3 des salariés sont confrontés à des conflits professionnels.
- Chaque salarié passe en moyenne 3 heures par semaine, soit 20 jours par an à tenter de résoudre un conflit.
- Ouverture sur de nouveaux possibles, créateurs de valeurs pour l’entreprise, particulièrement utiles dans cette période de profondes transformations.
L’innovation et la créativité se développent dans un environnement qui favorise la diversité, la réactivité et la bienveillance, trois caractéristiques encore communes à la médiation.
Les différends, à condition d’être managés, sont porteurs de valeur ajoutée, les outils de médiation rendant la conflictualité créative. En dynamisant les affects, ils favorisent l’imagination de nouveaux possibles. Ils permettent de sortir d’une logique de répétition et de continuer à croire que faire toujours un peu plus de la même chose donnera des résultats différents. Les tensions révèlent les frottements et offrent une opportunité d’apprentissage et de reprogrammation nécessaires dans les contextes mouvants auxquels nous sommes confrontés. La « crise » provoquée par ces tensions permet de se confronter à ce que C.Argyris, théoricien de l’apprentissage organisationnel, appelle les « routines organisationnelles » et de développer le processus vertueux de « l’organisation apprenante ».
- Préservation des relations externes, notamment clients, fournisseurs et collaborateurs limitant les risques judiciaires par une meilleure prise en compte des intérêts de chacun.
- Afficher résolument les ambitions de sa politique RSE, en étant le promoteur d’une écologie de la relation parce que :
- Elle répond de façon pragmatique et efficace à la volonté d’instaurer de bonnes pratiques dans les affaires,
- Elle est au service de la qualité de vie au travail, de la cohésion sociale et de l’engagement,
- La performance relationnelle de son organisation est au service de sa performance globale et de sa résilience.
Ainsi, devant les nouveaux paradigmes de management nécessaires pour conjuguer nouvelles aspirations des collaborateurs, défis de transformation et recherche de nouvelles voies de développement, la démarche de médiation apporte des réponses pragmatiques et éprouvées pour faire vivre un collectif, resserrer les liens, élaborer collectivement des solutions opérationnelles et réellement mises en œuvre et renforcer le sentiment d’appartenance individuel dans le collectif.
Alors, pourquoi attendre pour :
promouvoir l’utilisation de la démarche de médiation dans vos organisations,
et
devenir des dirigeants-médiateur, entraîner dans votre sillage managers et collaborateurs en leur proposant une nouvelle écologie de la relation ?
Et si nous en parlions de vive voix…