Mon patron est-il un pervers narcissique ?

Mission et direction d'entreprise

Conversation avec Marie :

Marie :  Bonjour JC, je m’appelle Marie, je viens de quitter, dans des conditions très difficiles, l’entreprise qui m’employait depuis plus de trois ans ! Un ami m’a dit que le patron était un pervers narcissique, je ne sais pas bien ce que c’est mais en tout cas il m’a fait beaucoup de mal ! Pouvez-vous m’aider à mieux comprendre ?»

JC :  Bonjour Marie, Pour vous répondre, je me suis plongé dans l’ouvrage de Jean Charles BOUCHOUX psychanalyste, psychothérapeute en institut à Arles et Montpellier, « Les pervers narcissiques », éditions Eyrolles, 2018.

Voici quelques repères que j’ai extraits pour vous :

C’est Paul Claude RECAMIER, psychiatre et psychanalyste français (1924 1996) qui a inventé le concept de « Pervers Narcissique » dans les années 1950. Ses travaux sur la psychose et la schizophrénie le conduisent à considérer que le schizophrène vit avec des conflits internes qu’il s’empresse d’éjecter chez l’autre.

Pour lui, les pervers narcissiques « sont des noyauteurs pour qui tout est bon pour attaquer le plaisir de penser et la créativité ; pour le pervers narcissique domine le besoin, la capacité et le plaisir de se mettre à l’abri des conflits internes, et en particulier du deuil, en se faisant valoir au détriment d’un objet manipulé comme un ustensile et un faire-valoir »

Pour Harold SEARLES, Psychanalyste américain (1918 1995), dans « L’effort pour rendre l’autre fou », Editions Gallimard, 2002, la perversion narcissique serait « un moyen pour le sujet de ne pas délirer, de faire porter à l’autre son chaos intérieur et de ne pas entrer en psychose »

Marie : Merci, mais tout cela est bien compliqué, je comprends que le pervers narcissique est un malade qui se « soigne » en reportant ses problèmes sur les autres. C’est vrai qu’en sortant de cette expérience de travail, j’ai l’impression d’avoir subi un lavage de cerveau ! Je suis vidée et dépressive.

JC : C’est un peu compliqué, c’est vrai. Je vous propose une définition plus concrète :

La française, Marie France HIRIGOYEN, psychiatre et psychanalyste popularise le terme de perversion narcissique dans son ouvrage « Le harcèlement moral : la violence perverse au quotidien », Editions Syros, 1998. Elle définit le harcèlement moral, mécanisme typique du pervers narcissique, comme « toute conduite abusive qui se manifeste notamment par des comportements, des paroles, des actes, des gestes, des écrits, pouvant porter atteinte à la personnalité, à la dignité ou à l’intégrité physique ou psychologique d’une personne, mettant en péril l’emploi de celle-ci ou dégradant le climat social »

On voit à travers ces approches que le pervers narcissique va rechercher une compensation entre ses propres conflits qu’il ignore par le mécanisme de la forclusion et la projection du risque personnel sur l’autre ; pour cela il utilisera le lien familial, amoureux ou professionnel pour assujettir l’autre.

Pour répondre à votre préoccupation Marie, notre réflexion portera essentiellement sur le contexte professionnel en considérant que « le » pervers narcissique peut être aussi bien un homme qu’une femme.

En premier lieu, il faut noter que le pervers narcissique a besoin de proximité avec la personne visée pour exercer son emprise et ne permettra pas à sa victime de prendre de la distance « Telle l’araignée, il prend sa proie dans sa toile, l’enrobe de ses fils, la paralyse avant de la dévorer à sa guise ». JC BOUCHOUX nomme cette manœuvre le collage et isolement pour assujettir sa victime.

Marie : En effet, à la fin j’étais isolée et confinée dans des tâches secondaires, dévalorisantes, loin de mes capacités et compétences initiales, c’est dégradant humiliant. Je me sentais une moins que rien !

JC :  C’est, par expérience, une situation souvent constatée. Voyons, si vous le voulez bien, plus en détails, quelles sont les caractéristiques du pervers narcissique pour mieux comprendre ses attitudes et ses comportements :

– Extérieurement il est aimable et peut feindre la compassion et la sympathie. Mais, derrière cette façade, se cache un dangereux manipulateur ;

– Il est séducteur et, si nécessaire, peut être ponctuellement très serviable surtout si cela lui permet d’atteindre ses objectifs bien souvent aux dépends des autres ;

-Mais c’est aussi un menteur, il peut affirmer avec aplomb de fausses informations et vous assurer de leur vérité. Ses valeurs, ses sentiments et son comportement changent en fonction des gens et du contexte et de son intérêt du moment.

Marie : Effectivement, il nous matraquait en permanence, lourdement, avec sa vision du bon management, son modèle idéal et nous l’imposait comme passage obligé. Il s’empressait ensuite de faire le contraire aux yeux de tous sans aucun complexe. Aucune congruence c’est-à-dire aucune cohérence entre ce que l’on pense, ce que l’on dit et ce que l’on fait. Mais cela ne le gêne absolument pas puisqu’il détient la vérité !

JC :  Même s’il n’a aucune valeur propre, il utilise la morale, parle beaucoup d’éthique et reprend les valeurs des autres pour arriver à ses fins. Cette utilisation abusive de principes moraux et rationnels constitue son système de défense contre des approches beaucoup plus « affectives », intuitives et … humaines qu’il déteste car elles peuvent réactiver ses propres conflits internes.

Marie : Quand, prise au piège, il m’arrivait, à bout de nerfs, de pleurer devant lui, je ressentais son plaisir et son sentiment de toute puissance qu’il ne cachait pas, au contraire.

JC : Son besoin de pouvoir se traduit par le culte de son image, des signes extérieurs comme les belles voitures, l’affichage ostentatoire de sa réussite professionnelle, une belle conjointe ou la tentation de séduire de jeunes personnes de son entourage, les psychanalystes disent que le besoin de phallus est objet de tous ses fantasmes.

De plus, généralement, il est très habile avec la parole, il se met en valeur, il se sert largement du double sens des mots pour manipuler. Il peut même se positionner en victime pour se faire plaindre et rendre l’autre volontairement mal à l’aise.  Sa rhétorique est très affutée et difficile à contrer surtout quand elle s’appuie sur la mauvaise foi

Marie : J’ai toujours été choquée par sa communication aussi pompeuse que mensongère qui brasse beaucoup d’air, vend du vent et des compétences que ses équipes n’ont pas. Il entretient ainsi une image surfaite de son entreprise très souvent démentie par la confrontation avec la réalité du terrain. Quand une relation client se passe mal, ce qui est de plus en plus fréquent, c’est toujours la faute du client qui n’est pas à la hauteur ou n’a rien compris. C’est toujours lui qui a raison. Rien ne peut entamer son égo ! Il va même jusqu’à rédiger ou faire rédiger par sa garde rapprochée des avis très favorables à son entreprise sur des réseaux sociaux spécialisés dans l’évaluation des sociétés, avis destinés aux futurs candidats !

JC : Autre chose très dure, il ne prend jamais en compte les besoins et les sentiments des autres, sauf pour s’en servir, pour manipuler sa victime, l’isoler et l’amener à faire ce qu’il veut.

Marie : Sous des discours au cours desquels il parle beaucoup de bienveillance, d’intelligence collective, d’humanisme, il renforce son emprise en démontrant à ceux qui ne le suivent pas sur ce terrain que ce sont eux qui ont tort. Il faut adhérer à sa pensée unique. Certains collègues prononcent même le mot de « secte » !

JC :  Il est très égocentrique, exige de l’autre la perfection. Il est froid intérieurement, ne connait pas la culpabilité mais n’hésite pas à culpabiliser les autres.

Il sait bien vous enfermer dans un raisonnement très rationnel qui exclut toute référence aux sentiments ou aux intuitions. Mais le raisonnement est bâti de façon à vous manipuler. Il peut mettre en avant des raisons très logiques pour justifier ses passages à l’acte souvent « borderline » et abusifs

Marie : Lors de mon entretien de départ, je n’ai presque pu rien dire car tout était interprété comme une trahison, tout était de ma faute. Ma démission était en fait selon lui, un aveu d’incompétence !

JC : Il ne supporte pas la critique mais critique sans cesse. Il est capable de voler les idées des autres pour se les approprier et les exploiter dans son intérêt, sans aucun scrupule. Mais s’il pille souvent les idées des autres il ne maîtrise pas le fond des sujets volés, ce qui le conduit souvent à des plagiats sans valeur

Pour se valoriser, il se nourrit de l’image de sa victime, plus il la dévalorise et plus il se sent fort. Il a souvent la tentation de se prendre pour une référence, voire un gourou, même s’il n’en a ni les capacités, ni les compétences.  Il est convaincu d’avoir raison, d’avoir « La Vérité ».

Marie : C’est vrai, de l’extérieur, nos contacts nous rapportent qu’on le perçoit souvent comme « creux » ou inconsistant dès lors que l’on cherche un peu les fondements et les bases solides de ses affirmations péremptoires.

JC : Par ailleurs, s’il ressent une angoisse, il la transmet rapidement pour qu’elle habite l’autre. Il fait porter aux autres ce qui devrait être sa rage, ses peurs et sa culpabilité, autant dire sa folie.

Il séduit sa proie, la conserve et cherche à détruire l’image de sa victime. Il assujettit son souffre-douleur et le pousse à la dépression, à la violence, à la maladie psychosomatique voire, dans les cas les plus graves, à la mort par suicide ou par accident.

Marie : Il m’a manipulée régulièrement, avec une fréquence méthodique, m’injectant un « poison psychologique » fortement dosé jusqu’à me conduire à la démission ! Je ne lui servais plus à rien, il m’a exploitée puis rejetée d’autant que j’ai fermement résisté à ses avances et à ses tentatives de harcèlement sexuel. J’ai été traitée comme un kleenex…

Finalement j’ai le fort sentiment d’avoir eu à faire à une personne particulièrement malhonnête et dangereuse

JC : Oui Marie, malheureusement, même si le portrait est un peu caricatural et varie selon les personnes, les grands traits restent une constante pour comprendre les attitudes et comportements de ce genre de personnalité narcissique pervers.

Votre expérience difficile confirme bien, avec du recul, que vous avez eu à faire à ce type de personne.

Il est à noter que le contexte social permet souvent à ce personnage de perdurer dans ses comportements car il rencontre peu de sanctions. Les victimes ont beaucoup de mal à exprimer leur souffrance et à dénoncer le harcèlement (voir les travaux de Heinz LEYMAN en 1996 sur la « violence au travail ».) De plus, ce type de perversion peut être valorisé par des structures qui poussent le culte de la performance économique à son paroxysme. Ainsi le pervers narcissique devient à son tour un instrument du système qui l’emploie et le « modèle » peut se reproduire sur une partie de la chaîne de management sous forme de « management par la terreur ».

Marie : Que peut-on faire dans ce cas ?

JC :  D’abord, après une expérience aussi traumatisante, il ne faut pas rester seule. Il est recommandé de se faire accompagner par un professionnel, spécialiste de la mise à distance du choc. Celui-ci utilisera des méthodes de type EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) ou d’autres outils au cours de séances de psychothérapie. Cela peut prendre du temps mais devrait vous permettre de dépasser l’emprise du trauma et de vivre avec sans en souffrir. Ainsi, vous vous libérerez et vous pourrez bâtir de nouveaux projets professionnels et un avenir positif. Tous les dirigeants ne sont pas des pervers narcissiques, heureusement !

La première réaction, naturelle, face à ce type d’individu est bien sûr la fuite, échapper au « collage » et à l’enfermement, c’est vital. La démission « forcée » vous a permis de sortir de cette relation toxique. Un départ négocié aurait pu également, s’il avait été possible, résoudre le problème mais il s’avère très difficile avec ce genre d’employeur.

Il peut être utile pour vous et pour les autres de signaler ces agissements aux autorités, médecine et inspection du travail afin de prévenir et d’éviter les mêmes désagréments à vos anciens collègues, ou à des candidats, futures victimes. Mais en priorité pensez à vous, à votre équilibre et à votre santé.

Voilà Marie un tour rapide de réponses à cette question complexe : qu’est-ce qu’un pervers narcissique ?

J’espère qu’il vous éclairera et, à l’avenir, qu’il vous donnera quelques grilles de lecture pour éviter de retomber dans ce piège toxique. Je vous invite à en parler avec vos proches et vos amis.