Article rédigé par Christelle Chazelle //
Beaucoup d’entreprises PME PMI, après avoir connu une période de lancement enthousiaste et une forte mobilisation de ressources financières et humaines autour du projet de création, se retrouvent confrontées à des choix stratégiques de croissance et de développement souvent dans un contexte géopolitique et économique turbulent et une concurrence exacerbée par les rétrécissements des marchés.
L’expérience montre que la courbe de croissance impose des phases de consolidation dans lesquelles l’entreprise aura besoin de revoir et ajuster la conception de l’organisation, la maîtrise des processus et du management, en particulier de ses équipes. Qui dit courbe de croissance dit paliers clairement identifiés. On distingue la phase d’incubation et de création, la phase de lancement technique et commerciale puis la phase de développement qui se caractérise par la montée en puissance de l’activité. Le dirigeant a pour mission de détecter ces passages de seuils et d’accepter des phases de consolidation durant lesquelles il permet à l’entreprise de renforcer ses acquis et d’anticiper le prochain palier qui s’avère très souvent complexe et intense.
Nous parlons donc bien de changement et de gestion du changement.
Souvent les salariés membres pionniers de la première heure ne se retrouvent plus dans une organisation plus rigoureuse, plus contraignante, contrôlée et moins ouverte à l’innovation. En phase de développement, ils quittent l’entreprise car ils ne correspondent plus aux besoins de celle-ci et/ou l’entreprise ne leur permet plus de s’exprimer. Ils sont remplacés par de nouvelles ressources avec des attentes et des motivations très différentes.
De même, la direction fondatrice, qui a beaucoup aimé la période pionnière entourée d’une « équipe famille » faisant feu de tout bois pour relever le défi de la création et du lancement/ développement de la nouvelle société, se retrouve un peu dépourvue. Elle est confrontée au besoin d’un nouveau style de management, de choix stratégiques forts, d’une organisation et d’un contrôle/maîtrise de gestion plus serré.
Toutes nos expériences montrent que certaines directions ne voient pas toujours clairement ces passages de seuils et ne font pas le deuil de cette phase pionnière. Suite à la croissance qui s’accélère, elles se retrouvent confrontées à des blocages humains incompris mais très chronophages qui leur font perdre la maîtrise de la situation. De plus, en période de forte croissance, la concurrence devient plus exacerbée, le marché se restreint et se tend progressivement. Dans ce contexte, la perte de parts de marché ou de clients importants entraîne des pertes de marges et donc des baisses de résultats financiers avec les risques de trésorerie associés.
Dans les cas de sociétés innovantes avec lesquelles nous avons travaillé, la première phase d’incubation et de lancement s’opère généralement avec une équipe restreinte, très moteur sur l’ensemble du projet et donc plutôt volontaire, polyvalente, adaptable, dans l’entraide et la solidarité. Un premier passage critique est celui ou l’effectif est supérieur à 10 à 12 salariés. Souvent ce seuil est accompagné d’un développement de l’activité qui s’illustre soit par la fin de la première phase de R&D, soit par la négociation de plusieurs partenariats technologiques et stratégiques à mener de front ou encore par la signature de nombreux contrats commerciaux à délivrer dans un temps record. La gestion des hommes et la communication interne sur le projet ne peut plus se faire au fil de l’eau et de façon spontanée. Le dirigeant se voit dans l’obligation de mettre en place les premières règles formalisées de gestion des ressources humaines et de communication : gestion plus standard et normalisée des absences, des demandes de congés, des notes de frais, des entretiens annuels, des augmentations… S’il ne le fait pas suffisamment tôt, il est fort probable qu’il sera malgré lui contraint à passer beaucoup de temps en « micro-management » voire à affronter des situations proches du « chantage affectif ». En effet, des salariés qui ont participé au démarrage peuvent se considérer assez vite comme indispensables et dès lors que des résultats financiers deviennent visibles, ils estiment qu’ils en méritent une partie.
Nos expériences montrent ici que le critère de l’effectif comme seuil s’avère central du fait de la dynamique de groupe restreint qui n’est plus possible au-delà d’une certaine taille. Dans certains projets, le passage de seuil pourra intervenir entre 16 à 18 salariés selon la capacité du dirigeant à animer ses équipes.
Dans le cas des entreprises en fort développement commercial, celles-ci deviennent de plus en plus visibles sur leur « champs de bataille ». Elles seront donc forcément chahutées sur leur marché qui verra de plus en plus son intensité concurrentielle se cristalliser. Dans ce contexte, la Direction se doit d’anticiper le positionnement externe de son entreprise et, en parallèle, la gestion de ses équipes afin qu’elles passent efficacement le rush de la croissance. La montée en puissance de l’équipe commerciale apporte dans l’entreprise beaucoup de dynamisme, facteur clé de réussite. Cependant, elle engendre un besoin de réponses rapides, de capacité à délivrer des volumes de produits et services plus conséquents, d’adaptation aux demandes spécifiques des clients et éventuellement de remises commerciales trop importantes. Tout ceci a des impacts directs sur les équipes internes qu’elles soient techniques, production, logistiques, gestionnaires, RH ou financières. Le dirigeant se doit d’anticiper les enjeux et les moyens à mettre en œuvre en intégrant tous les services de l’entreprise. La remise à plat de l’organisation, la répartition des tâches et la communication des objectifs deviennent indispensables pour favoriser l’engagement de tous les salariés. L’anticipation du coût de la croissance est un gage de réussite, ainsi le dirigeant aura la capacité de financer le développement de l’entreprise au bon moment.
Dans le cas des entreprises qui ont un projet de vente de leur activité, la direction a, en général, déjà passé plusieurs seuils de développement avec succès ce qui la focalisera plus sur le maintien et le développement de la valeur de l’entreprise. L’opération de vente étant très énergivore, peu de dirigeants prennent le temps de réfléchir à la phase suivante car, pensent-ils, ils n’ont aucun intérêt. L’exercice est d’autant plus compliqué qu’ils sont personnellement impliqués, ils doivent passer la main tout en s’engageant à rester dans l’entreprise pour maintenir la valeur vendue. Dans ce contexte, la direction a intérêt à prendre du recul sur ce qu’elle attend de l’opération, comment elle souhaite mettre en valeur tout le travail accompli et à quelle échéance elle se sent capable d’assumer son départ. Elle se positionne sur les missions qu’elle peut conserver ce qui lui permet de communiquer clairement avec les salariés et ne pas les décevoir. Dans tous les cas, elle lâche le flambeau et accepte la mise en place de nouvelles procédures ce qui lui permet également de gérer sa « courbe de deuil ». L’expérience montre que très peu de dirigeants restent plus d’un an après une vente et peu de dirigeants perçoivent les primes financières promises car les dés deviennent très vite pipés.
Que faire pour passer ces caps de développement et assurer la pérennité de l’entreprise ?
Dans la majorité des cas rencontrés, la Direction fixe la stratégie de développement selon sa vision du marché et ses objectifs personnels. Pour être en mesure de déployer sa stratégie, il s’avère essentiel de mobiliser les équipes autour du projet et donc de fixer des objectifs clairs, de travailler avec chaque service pour anticiper et estimer les moyens à mettre en œuvre.
S’entourer d’experts devient donc primordial pour accompagner le changement. Deux possibilités se présentent alors à eux pour répondre à ce défi : accepter de recruter de nouvelles compétences clés pour faire évoluer l’organisation et les règles et/ou faire appel à des consultants spécialisés pour apporter un « œil neuf », de l’expertise et des méthodes qui favorisent le changement.
Voici plusieurs thématiques clés que l’on aborde fréquemment lors des passages de seuil :
Pour consolider les choix stratégiques et maîtriser la création de valeur
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- Accepter d’être challengé par des experts pour valider les choix stratégiques envisagés ;
- Réactiver une analyse régulière de la concurrence. Se méfier de « l’autosatisfaction » ;
- Vérifier l’attractivité du secteur et valider l’intensité de la concurrence ;
- Estimer la qualité du positionnement de l’entreprise et l’existence de compétences clés ;
- Evaluer la maîtrise des facteurs de compétitivité et la performance des processus ;
- Positionner l’offre dans la maîtrise des coûts/délais/qualité et sécurité ;
- Estimer le potentiel de croissance chez les clients.
Pour revoir et optimiser l’organisation
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- Définir les postes et identifier clairement les responsabilités de chacun et de chaque équipe ;
- Recruter des managers intermédiaires ;
- Partager et faciliter l’appropriation des rôles de chacun ;
- Accepter de standardiser les prestations et de rationaliser l’organisation en cas de projet de mise en place d’un ERP ;
- Mettre en place une démarche d’amélioration continue et des procédures qualité.
Pour renforcer le management et professionnaliser la gestion des RH
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- Mettre en place des règles formalisées de gestion des RH : gestion standard et normalisée des absences, des demandes de congés, des notes de frais, des entretiens annuels et des augmentations ;
- Définir clairement les positions hiérarchiques ;
- Se doter de règles concernant la gestion des postes et des classifications en lien avec la grille des salaires, se mettre en conformité avec la convention collective ;
- Mettre en place des rémunérations variables selon des règles bien identifiées ;
- Informer et clarifier la gestion des règles du jeu RH auprès de l’ensemble du personnel ;
- Formaliser le projet de l’entreprise, lui donner du sens et faciliter l’engagement des équipes.
Pour mettre en place un service de contrôle de gestion adapté au métier
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- Définir les KPI du métier(indicateurs de performance) et mettre en place les moyens de les suivre (tableaux de bord) ;
- Fiabiliser les sources d’information avant de produire des reportings ;
- En cas de cumul de subventions obtenues sur des projets de recherche, mettre en place un suivi rigoureux des coûts pour faciliter leur déclaration et la validation définitive des aides obtenues ;
- Suivre régulièrement la marge brute en cas de vente de produits et suivi de la rentabilité des projets ;
- Mettre en place des outils de gestion centralisés et tenter de limiter le nombre d’outils.
Pour définir la stratégie financière et anticiper les besoins de financement / investissement
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- Mettre en place un suivi budgétaire régulier : validation d’un budget annuel avec les hypothèses clés à minimum 3 mois avant le début de l’exercice, suivre les objectifs et les résultats, actualiser et anticiper les actions rectificatives ;
- Anticiper les besoins de trésorerie et de communication avec les partenaires bancaires / financiers ;
- Revoir régulièrement les contrats fournisseurs négociés et renforcer la fonction achats ;
- Maîtriser le bilan comptable pour anticiper les arbitrages avant clôture.
Les écueils du cap de croissance ne sont pas systématiques car ils sont liés aux turbulences de l’environnement, à l’évolution des équipes, a la pression du contexte à court terme, mais ils peuvent être évités. Etablir des prévisions reste un exercice complexe et toujours faux cependant l’important pour le dirigeant est de se doter de repères pour prendre des décisions dans ce contexte en perpétuelle évolution. Afin d’avoir la capacité d’opérer ces changements culturels fondamentaux au bon moment, il convient donc de ne pas rester seul. Savoir s’entourer devient un facteur clé de succès.