Un paradoxe décrypté par Jean-Claude Merlane, professeur en ressources humaines depuis 1978 à Toulouse Business School.
Selon la dernière enquête Deloitte/Viadeo/Cadremploi, 63% des entreprises ne pratiquent pas l’intrapreneuriat. Comment expliquez-vous cette frilosité ?
Les entreprises qui ne s’engagent pas dans un programme d’intrapreneuriat avancent plusieurs raisons. Elles estiment que c’est une opération financièrement risquée, d’autant plus que la conjoncture s’avère difficile et tendue. Elles disent manquer de temps – je pense que c’est plutôt une excuse -, que l’effectif est réduit et qu’il est compliqué de le libérer pour l’impliquer dans un tel projet. Et puis, elles ont peur de l’échec. Imaginez les conséquences sur l’image de marque de l’employeur, aussi bien en externe qu’en interne, si le programme échoue.
Pourtant, la démarche présente de nombreux avantages : innovation, attractivité et fidélisation des talents, motivation et engagement des salariés…
C’est vrai et la fonction RH est interpellée par les directions sur ces différents sujets. Sa responsabilité est importante pour accompagner la stratégie de compétitivité de l’entreprise via l’innovation que ce soit pour développer un service, un produit ou une technologie, mais aussi pour rendre l’entreprise attractive, pour soutenir l’engagement de ses collaborateurs et les fidéliser.
De ce point de vue, l’intrapreneuriat peut apparaître comme la solution miracle. Il s’appuie sur un management par projet novateur auquel sont sensibles les jeunes générations. Il permet de travailler de façon plus autonome, de prendre des risques tout en étant dans un cadre protégé, de révéler des talents, d’enrichir les compétences…
Pour autant, l’intrapreneuriat est une piste et un levier parmi d’autres conceptions managériales actuellement en vogue. La démarche est ancienne, tout comme l’est celle de l’entreprise libérée. Il ne faut pas se laisser abuser par les effets de mode. Soyons raisonnable. Voyons ce qu’on peut faire intelligemment de ce dispositif, sans décréter qu’il est la panacée.
Dans ce contexte, quelle doit être la position des RH ?
Les RH ont un rôle d’alerte à jouer face à l’intrapreneuriat. Ils doivent contribuer à mettre en place des règles du jeu claires et connues de tous dès le départ. Par exemple, sur le temps d’engagement des salariés dans le projet : un jour par semaine comme chez Google, un peu plus, un peu moins ? Quels moyens matériels et financiers seront affectés au programme : espaces de travail, budget pour les éventuels voyages d’étude… ? Faut-il former les salariés sur le management de projet, les méthodes, la créativité, etc ? Doit-on les récompenser par des primes, des cadeaux, des voyages, un annual event ?
Les RH doivent aussi faire preuve de vigilance. Une fois le projet terminé, quelles seront les conditions de retour des salariés détachés ? Comment faire cohabiter les intrapreneurs qui dans cette aventure vont développer la polycompétence, l’autonomie et le sens du risque, et les autres salariés restés sur des modèles hiérarchiques plus traditionnels ? Il s’agit enfin de veiller à la gestion et au roulement des effectifs qui vont s’impliquer dans un projet intrapreneurial, pour limiter les déceptions et la frustration.
Finalement, à quelle condition l’intrapreneuriat peut-il s’avérer gagnant pour l’entreprise et les salariés ?
Le succès de l’intrapreneuriat repose sur l’engagement clair et formel de la direction et du comité de direction. Sans cet appui, on a vite fait de jouer à l’apprenti sorcier.
Propos recueillis par Corinne Dillenseger
Interview réalisé pour http://www.focusrh.com/strategie-rh/organisation-et-conseil/les-rh-ont-un-role-d-alerte-et-de-vigilance-jouer-face-l-intrapreneuriat-30032.html