Ne sacrifiez pas votre stratégie sur l’autel du financement. Gardez le cap business

Gestion financière et performance économique

Par Christelle Chazelle, conseil et direction financière partagée

Dans l’univers des start-ups, des sociétés innovantes ou des sociétés en croissance, la réussite semble parfois se mesurer à la quantité de millions levés. Dans les pitchs comme dans la presse économique, le montant prime sur le sens. Même si mobiliser des financements s’avère primordial, le montant financé ne garantit ni la viabilité d’un modèle, ni sa réussite sur le marché. Attention donc à ne pas trop vous concentrer sur la mobilisation de financements, vous pourriez oublier l’essentiel : concevoir un projet rentable, aligné avec une roadmap business réaliste et centrée sur les besoins clients.  

C’est votre capacité à générer de la valeur pérenne qui fera votre réussite. Retrouvez quelques recomandations essentielles à la fin de cette article.

Le piège du cumul de subventions peut coûter cher à votre projet

Il est tentant pour certains dirigeants d’entreprise – en particulier dans les secteurs innovants – de multiplier les dossiers de financement non dilutifs. En effet, les fondateurs ont la capacité de demander des aides sous forme de subventions, avances remboursables ou prêts pour financer une partie de leurs projets innovants.

Si cette stratégie est vertueuse à court terme ou dans une logique de croissance forte, elle peut faire oublier l’essentiel, à savoir bâtir un modèle économique solide et avoir une vision claire du marché.

Optimiser les financements s’avère indispensable, le faire en toute connaissance de causes est encore mieux :

Les avantages

Obtenir des subventions, avances remboursables ou prêts permet de sécuriser le projet et notamment :

  • Soulager la trésorerie : les projets sont en moyenne financés à hauteur de 45% et l’aide est versée très souvent en 3 fois sur une période de 24 à 36 mois (avance de 30%, 50% versés sur déclaration de dépenses réelles puis 20% à l’achèvement du projet).
    L’avance de 30% versée dès l’accord permet de démarrer dans de bonnes conditions. Mais le piège se referme vite : la société doit être en mesure d’autofinancer 55% du projet pour obtenir la totalité de la subvention.
  • Limiter la dilution des fondateurs : les subventions, avances remboursables et emprunts permettent de créer des effets de levier non négligeables par rapport aux fonds propres mobilisés dans le projet (on parle d’effet de levier lorsque X euros de fonds propres permettent de mobiliser X euros de financement supplémentaire). Tous ces financements complémentaires sont accordés à la Société, et les fondateurs conservent leur part de capital détenu en contrepartie d’engagements à rembourser dans le temps. 
  • Crédibiliser le projet : il est toujours très bon signe d’obtenir des financements de la part de structures renommées dans le domaine de l’innovation. Les dirigeants peuvent ainsi communiquer plus facilement sur le soutien du projet et son caractère prometteur.

Les risques

En se concentrant trop sur la mobilisation de financements, les dirigeants prennent le risque de piloter le plan de financement et les dépenses en oubliant le modèle économique. Les revenus réels, les coûts d’acquisition clients, la scalabilité, la récurrence ou l’efficacité opérationnelle deviennent secondaires. Or, la réussite d’un projet ne repose pas sur un cumul de subventions mais bien sur la capacité à générer de la valeur pérenne. Autrement dit, attention aux risques de :

  • Cumuler les projets : même si le risque du cumul est compris de la plupart des dirigeants, le quotidien peut leur faire oublier assez vite cette règle basique. Lorsque le projet ne permet pas de respecter les délais prévus, il est tentant de maintenir le caractère innovant du projet pour qu’il reste prometteur. Et cerise sur le gâteau : tout nouveau projet permet de récupérer 30% d’avance. Quel risque alors ? Il y a fort à parier que la société ne puisse pas mener à bien plusieurs projets en parallèle et que les subventions initialement promises soient revues à la baisse (du fait des dépenses non engagées). Si ce point n’est pas clairement maitrisé et anticipé lors des clôtures comptables, le dirigeant prend le risque de valider trop rapidement les montants de subvention prévus au contrat.
  • Dépendance aux financement externes :  le projet devient dépendant des échéances et des exigences de financeurs institutionnels plutôt que de la logique du marché. Toutes les exigences du dossier instruit peuvent détourner l’équipe des priorités initiales. L’équipe va ainsi adapter artificiellement la feuille de route au risque qu’elle ne réponde plus à la stratégie business initiale. L’engagement des dépenses pourra s’avérer moins prioritaire, voire, non adapté à la réussite globale du projet.
  • Perte de temps et décalage de la roadmap : au travers des engagements pris sur les dossiers de subvention, l’équipe est confortée dans une situation de confort qui lui fait perdre de vue la nécessité de créer de la valeur avec les ressources les plus optimisées. Le besoin d’obtenir des résultats concrets rapidement devient moins prioritaire pour les équipes techniques qui ont participé au montage du dossier et qui s’attribuent donc le droit d’investir dans la technique. De plus, il n’est pas rare qu’entre l’idée de projet et le financement, plusieurs mois s’écoulent. Pendant ce temps, le marché évolue, la concurrence avance, et la roadmap initiale peut perdre son sens.

Quelques recommandations aux dirigeants

  1. Managez le projet avec le besoin marché, la capacité à créer de la valeur et monétisez rapidement :  votre premier client vaut plus que votre prochaine subvention. La stratégie mise en place associée aux financements mobilisés doit vous permettre de vous confronter rapidement au marché et non à peaufiner la technique pour avoir le meilleur produit.
  2. Construisez une roadmap cohérente avec les enjeux du marché : les objectifs visés par les projets subventionnés s’avèrent généralement plus techniques que business.
  3. Utilisez les subventions comme des leviers d’accélération : ne faîtes aucune concession sur les objectifs temporels d’accès au marché. Si le projet subventionné impose d’importants investissements tout en retardant le timing des ventes, prenez du recul et retravaillez votre plan de trésorerie. En effet, il peut être pertinent de limiter les dépenses et de se réaligner sur le temps d’accès au marché afin de ne pas tomber dans le cercle vicieux des « béquilles » du financement.
  4. Anticipez le coût caché du temps consacré à la recherche de financements externes : répondre, suivre et justifier chaque demande de financement est chronophage. Réservez du temps pour optimiser votre roadmap business et adaptez les étapes aux moyens dont vous disposez. Il est assez étonnant de constater ce qu’une équipe est capable d’accomplir lorsqu’elle manque de moyens.
  5. Identifiez rapidement vos indicateurs business afin de pouvoir piloter le projet : ROI, CAC, LTV, marge, délai de monétisation… indicateurs indispensables à intégrer rapidement pour garder le cap.

En conclusion, une entreprise se construit par la valeur qu’elle crée, pas par les subventions ou aides qu’elle accumule. Un projet peut être richement subventionné et pourtant stratégiquement vide. En tant que dirigeant, votre rôle est de garder le cap économique, même lorsque les opportunités de financement sont encore possibles.

Les aides peuvent vous accompagner pour avancer mais elles ne doivent jamais dicter votre cap.